L’appareil de Roland Garros s’éloigne du Monte Jaizkibel sous le regard de trois bergers basques espagnols (référence/Photo sublimée et colorisée).

Aux débuts de l’aviation, le seul exploit qui compte s’est de relier deux grandes villes entre-elles en s’affranchissant de tous les types d’obstacles, en particulier les mers et, surtout, les montagnes. C’est l’ère de ceux que nous nommons « les Franchisseurs », à l’image du pilote genevois Agénor Parmelin, qui suvole le mont Blanc le 11 février 1911. Cependant, parfois, et incidemment, certains pionniers de l’aviation se voient contraints d’opérer un atterrissage de fortune sur un mouvement de terrain plus ou moins escarpé. C’est le cas de Roland Garros qui, dans le cadre de la deuxième étape du Course aérienne Paris – Madrid, se pose sur les contreforts du Monte Jaizkibel, situé juste au sud de la Bidassoa, au Pays basque espagnol

CONTEXTE

Organisée par le quotidien Le Petit Parisien, le raid Paris-Madrid est la première des grandes courses d’aviation marquant l’année 1911.

Dotée d’un prix de 100 000 francs (soit 36 532 882,49 Euros de 2024), cette course apparaît à l’époque comme une épreuve surhumaine tant par la longueur du parcours qu’elle impose aux concurrents que par les difficultés qu’elle accumule au devant eux, surtout en territoire espagnol.

D’une longueur totale de près de 1 200 km, la course est scindée en trois étapes bien distinctes :

Paris/Angoulême ;

– Angoulême/Saint-Sébastien (Guipuscoa) ;

– Saint-Sébastien/Madrid, en passant par Burgos.

Seuls huit intrépides pilotes se présentent au départ de la course :

Il semble que Prince de Nissole ne prenne pas le départ.

Quatre pilotes sur huit volant aux commandes d’un Blériot XI, cette marque a théoriquement 50 % de chances de remporter le prix…

Promettant d’être épique, la course débute cependant très mal, comme nos lecteurs pourront en juger en lisant notre article intitulé :

26 mai 1911 – « Match sensationnel entre Jules Védrines et un aigle de la Guadarrama »

ROLAND GARROS S’IMPROVISE AVIATEUR DE MONTAGNE

Le 23 mai 1911, dans le cadre de la deuxième étape Angoulême/Saint-Sébastien, Roland Garros, Jules Védrines et Louis Gibert doivent survoler la côte basque française, puis la Guipuscoa espagnole. Roland Garros est le premier à s’élancer avec deux heures d’avance sur ses concurrents. Il survole Saint-Jean-de-Luz sans problème, où résonnent les coups de canon annonçant son passage.

Après avoir survolé Hendaye, il doit franchir la frontière, marquée en l’occurence par l’embouchure de la Bidassoa, puis aborder les contreforts nord du Monte Jaizkibel, à Fontarrabie (Hondarribia en Basque)…

Le Monte Jaizkibel vu depuis les hauteurs est d’Hendaye (référence).

À neuf heures du matin, il est aperçu par les artilleurs espagnols du Fort de Guadalupe, qui sont aux aguets pour tirer une salve en son honneur. Cependant, au lieu de les survoler pour poursuivre son vol vers Saint-Sébastien, Roland Garros arrive à sec sur les pentes du Monte Jaizkibel, où il parvient à atterrir proprement, devant un poste des carabiniers. Deux bergers sont les premiers à le rejoindre après que la débandade d’un troupeau de moutons ait facilité sa localisation. Malheureusement, ils ne comprennent pas les demandes du pilote français, qui a un besoin urgent d’essence…

Son seul salut pourrait venir d’un bateau de la Croix-Rouge croisant au large. Il tente alors d’entrer en communication avec l’équipage à grands renforts de gestes, mais l’embarcation ne parvient pas à s’approcher des rochers. Enfin, selon les chroniques de l’époque, ce serait le vicaire du couvent des capucins de Hondarribia qui aurait réussi à communiquer avec Roland Garros et à se faire son interprète pour expliquer aux militaires du fort et aux paysans du coin que l’aviateur qui venait de se poser avait besoin d’essence. On va donc prestement en requérir dans la plaine en contrebas.

Pour mémoire, il existe bien un Sanctuaire Notre-Dame de Guadalupe tout près de l’endroit où s’est posé Roland Garros, mais aucune trace d’un « couvent des capucins de Hondarribia » en source ouverte. Encore un mystère à élucider…

Pendant qu’il attend impatiemment son avitaillement carburant, Roland Garros est survolé par Jules Védrines, l’autre grand favori de l’épreuve, tandis que retentissent les coups de canon depuis le fort de Gadalupe saluant le passage de l’aviateur le plus chanceux des trois. En effet, victime d’une panne moteur, Louis Gibert a dû se poser à Bayonne pour réparer.

Au bout de deux heures, une fois le plein de son avion effectué, l’aviateur fait décoller son appareil dans le vide, après avoir roulé une centaine de mètres en bord de falaise.

À onze heures du matin, il rallie la plage d’Ondarreta, à Saint-Sébastien, 58 minutes après Védrines et remet aux autorités le courrier qu’on lui avait confié. Totalement dégoûté, il part se coucher sans déjeuner. Quant à lui, Louis Gibert accuse un retard de sept heures sur le vainqueur de l’étape.

Roland Garros atterrit sur la plage d’Ondarreta (Saint-Sébastien) et vole la vedette à Jules Védrines (référence/Photo sublimée et colorisée).

Résultat de la seconde étape, longue de 335 kilomètres : premier Jules Védrines en 3h 45′ 42″, avec plus de deux heures d’avance sur Roland Garros.

DÉNOUEMENT DE LA COURSE

Après une journée de repos bien méritée, les trois aviateurs reprennent la course et engagent la troisième et dernière étape, Saint-Sébastien/Madrid. Malheureusement, Louis Gibert est exclu de la compétition à Olazagutia (Olazti en Basque) après avoir heurté un aigle. Le destin de Roland Garros n’est pas meilleur : il heurte un poteau électrique à Usurbil, peine à reprendre son envol et tombe dans la rivière Leitzaran. Le seul concurrent à terminer la course est Jules Védrines, qui atterrit à Getafe, à 13 kilomètres au sud de Madrid, et empoche les 100 000 francs de prix.

POSTÉRITÉ

Très longtemps, ce qu’il faut bien désigner comme une simple anecdote tombe lentement dans l’oubli ou est relégué au rang de légende, tant manquent les sources fiables.

Le samedi 9 novembre 2013, l’Édition Aquitaine de la chaîne télévisée France 3 diffuse un sujet sur l’atterrissage forvé de Roland Garros sur les contreforts du Monte Jaizkibel.

Le 9 novembre 2013, les membres du Cercle de recherches sur l’histoire Oroitza (mémoire) dévoile une plaque rappelant l’exploit involontaire du pionnier de l’aviation (référence).

Vidéo : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/g971509001027/stele-sur-le-lieu-d-atterrissage-en-catastrophe-de-l-aviateur-roland-garros-a-fontarabie 

Le reportage se déroule à Fontarrabie, en Espagne donc, à l’occasion de l’inauguration d’une stèle commémorant la prouesse de Roland Garros, et présente une interview d’Alain Butori, ancien pilote de l’Armée de l’air, et de Jacques Eguimendya, du Cercle de recherches sur l’histoire Oroitza (mémoire).

L’émission est produite par France 3 Bayonne avec le générique suivant :

– Journaliste : Sabrina Corrieri ;

– Journaliste reporter d’images : Emmanuel Clerc ;

– Participant : Jacques Eguimendya.

ÉPILOGUE

On pourrait se demander, à bon droit, ce que vient faire Roland Garros dans la grande épopée de l’Aviation de montagne. Après tout, le sommet du Monte Jaizkibel culmine à 545 mètres seulement, et l’endroit du posé ne se situe certainement qu’à une centaine de mètres d’altitude. Alors…

Pour comprendre cet engouement, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Comme dit en prologue, la mode est au franchissement des obstacles, pas aux atterrissages-décollages en terrain accidenté. Cependant, notre héros se pose, un peu en catastrophe il est vrai, sur une montagne réputés infranchissable en avion, puis en redécolle face à la pente, se jette dans le vide et prend son envol au-dessus de la mer.

En ce sens, Roland Garros peut, lui-aussi, être considéré comme un pilote de montagne qui, instinctivement, découvre de manière pragmatique comment affronter une difficulté inattendue et que personne, sauf peut-être Eugène Renaux (qui vient de remporter le Prix Michelin d’aviation le samedi 7 mars 1911, en atterrissant et en décollant du sommet du puy de Dôme), ne pourrait évoquer…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein

SOURCE

  • Y Roland Garros logró atterrizar en Jaizkibel

https://www.diariovasco.com/culturas/roland-garros-logro-20210523162157-nt.html?ref=https%3A%2F%2Fwww.diariovasco.com%2Fculturas%2Froland-garros-logro-20210523162157-nt.html 

  • Stèle sur le lieu d’atterrissage en catastrophe de l’aviateur Roland Garros à Fontarabie

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/g971509001027/stele-sur-le-lieu-d-atterrissage-en-catastrophe-de-l-aviateur-roland-garros-a-fontarabie


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