Fort de son expérience du pilotage en montagne, le général Georges Benoist rédige un recueil insistant sur l’importance de créer une force aérienne capable d’évoluer en milieu difficile (référence).

Le propre des pionniers, quel que soit le domaine considéré, est d’expérimenter de manière empirique de nouvelles techniques, de nouvelles pratiques et de nouvelles procédures en tentant de les améliorer dans le cadre d’essais répétés et scientifiquement évalués. Maîtrisant parfaitement leur art, ils se montrent, la plupart du temps, très jaloux de leurs secrets et de leurs petites recettes. Pourtant, certains d’entre eux, plus éclairés, plus pédagogues et, pour tout dire, plus soucieux du bien commun et de la transmission de leurs connaissances, théorisent leurs savoir-faire et tentent de convaincre un large public de l’utilité de leurs activités avec l’espoir de rassembler de nouveaux adeptes. Le général Georges Benoist, auteur du premier ouvrage consacré au vol montagne recensé à ce jour, est sans conteste de la trempe de ces hommes-là…

ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

Si certains aviateurs se sont bien aventurés dans les zones montagneuses (Paul Engelhard, René Grandjean, Jorge Antonio Chávez Dartnell, le maréchal des logis Clément…) avant la Première Guerre mondiale, il ne serait certainement pas venu à l’esprit de ces pionniers de partager leur expérience personnelle. Il faudra attendre les années 1950 pour que le virtuose suisse Hermann Geiger, « l’Aigle de Sion », publie un best-seller intitulé Der Gletscherflieger, connu en France sous le titre Pilote des glaciers.

Encore cette véritable figure de proue du vol montagne de l’époque n’évoque-t-elle que des exploits certes mythiques, les descriptions techniques étant réservées aux stagiaires fréquentant son aérodrome valaisan, où les travaux sont essentiellement pratiques : en effet, il s’agit de décoller de l’aérodrome de Sion, de se poser sur glacier, puis d’en redécoller… Des savoir-faire exceptionnels largement illustrés dans le film SOS – Gletscherpilot (SOS – Pilote des glaciers [1959]) ou dans plusieurs reportages d’anthologie consacrés à cet expert par la Radio Télévision Suisse (RTS)

Il faudra attendre 1973 pour qu’un pilote de la compagnie Air France, Jean-François (dit « Nano ») Chappel, et son copilote, Robert Merloz, publient en commun un livre intitulé L’essentiel du pilotage en montagne pour que les secrets de ce savoir-faire si particulier soient divulgués à un large public d’initiés, mais aussi de néophytes que la montagne, sous tous ses aspects, fascine. Un ouvrage remanié et republié en 1993 par le seul « Nano » sous le titre Le vol en montagne, un ouvrage malheureusement bien moins connu que la version originale.

LA DÉCOUVERTE D’UNE PERLE

Voilà pour l’état de nos connaissance fin 2023. C’est à cette époque que Robert Merloz, Pilote de montagne (RM-PDM) fait l’acquisition d’une œuvre alors tombée dans l’oubli et qui pourrait bien être le tout premier livre consacré au vol montagne.

En effet, c’est au détour d’une recherche sur Internet que nous faisons la découverte du livre du Général Benoist, L’aviation de montagne, étude alpine, B. Arthaud, Grenoble 1934, préface du général Dosse, photographies aériennes du capitaine Seive. Après plusieurs mois de recherches, il apparaît que les prénoms du général Benoist sont Georges, René, Albert, ceux du général Dosse Edmond, Louis, et ceux du capitaine Seive Fleury-Marius… Le texte de l’ouvrage n’étant pas disponible en ligne, il est donc nécessaire de passer commande d’un exemplaire extrêmement bien conservé et ne comportant, à la réception, que quelques rares légères annotations au crayon.

C’est de cet ouvrage dont nous tenterons de faire une présentation exhaustive avant, un jour peut-être, d’en assurer une nouvelle publication gratuite en ligne sur RM-PDM

ÉLÉMENTS DE CONTEXTE

Pourquoi un tel ouvrage, et à ce moment là surtout ? Au soir de sa carrière militaire et soucieux de laisser un testament à ses successeurs, le général Benoist rassemble ses expériences et toutes son expertise du milieu dans un recueil comprenant 25 illustrations originales et agrémenté de 42 photographies aériennes en noir et blanc d’une qualité exceptionnelle.

Massif de la Meije. Vue prise de 3 800 m, vers le sud-ouest (photo prise par le capitaine Fleury-Marius Seive et colorisée).
Fig. 12. – Marche d’un courant aérien perpendiculaire à l’axe d’une vallée de largeur moyenne (illustration figurant en page 64 de l’ouvrage du général Georges Benoist).

C’en tenir là, c’est oublier que nous sommes en 1934, une année cruciale pour l’avenir de la force aérienne française. En effet, créée au sein de l’armée de Terre dès 1910, l’aéronautique militaire nationale est principalement conçue comme un moyen d’appui des troupes au sol, même s’il lui arrive d’entreprendre des missions de reconnaissance, de chasse et de bombardement dans la profondeur du dispositif ennemi. Or, suivant par là l’exemple d’autres armées européennes, l’arme aérienne française prend son indépendance, en devenant l’armée de l’Air, le lundi 2 juillet 1934 justement.

Redoutant probablement que les résultats des expérimentations menées en montagne au début de la décennie tombent dans l’oubli, le général Benoist souhaite laisser une trace indélébile des acquis en la matière, en espérant que l’armée nouvellement créée en tiendra compte. Cependant, il faut bien souligner que le général Dosse (dans sa préface) et le général Benoist (dans son introduction) ont la délicatesse de ne pas trop mettre les points sur les « i », ou alors que de manière très subliminale…

PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

Le livre du général Benoist comprend une première de couverture agrémentée d’une photographie de couleur sépia représentant le Grand Pic de la Meije (3 993 m d’altitude ) prise depuis un biplan, dont on devine la silhouette sur la partie gauche de l’image. À noter que, certainement selon l’usage de l’époque, aucun prénom n’apparaît sur cette page.

La quatrième de couverture, quant à elle, déroge à cette règle en indiquant la première lettre des prénoms des éditeurs (« B. Arthaud, successeur de J. Rey », « B » pour Benjamin et « J » pour Jules…) ainsi que le prénom, en toute lettre, des auteurs de trois autres « volumes » publiés dans ce cadre.

À noter également que la deuxième et la troisième de couverture comportent des volets permettant d’y ranger des documents.

LA PRÉFACE DU GÉNÉRAL DOSSE

Pour appuyer ce qu’il faut bien appeler un plaidoyer, le général Georges Benoist demande au général de corps d’armée Edmond Louis Dosse, alors gouverneur militaire de Lyon, de préfacer son ouvrage. Une tâche dont l’officier de très haut rang s’acquitte prestement, non sans un certain lyrisme :

« L’homme, dès qu’il aborde la montagne, se sent dominé par une volonté souveraine. Les massifs impénétrables, ou peu pénétrables, les escarpements, le climat particulier, l’astreignent à se plier à certaines règles auxquelles il ne peut se soustraire. Il ne peut circuler, habiter, cultiver, combattre que dans les zones que lui permet ou lui impose son hôtesse intransigeante.

Pour échapper à cette servitude, il a cherché à s’élever en avion au-dessus du tumulte du terrain. Il a vite éprouvé que la montagne prolongeait son influence tyrannique jusque dans l’atmosphère qui l’environne. Celle-ci, en effet, est soumise, suivant l’altitude, et au contact des lits de torrents, des névés, des glaciers, ou du sol surchauffé par le soleil, à des différences extrêmes de température qui engendrent un chaos indescriptible de courants violents, de remous, de puits d’air, de tourbillons aspirants ou refoulants. Ce désordre atmosphérique est encore augmenté par l’influence des vents fréquents en haute altitude. Si on pouvait le solidifier momentanément d’un coup de baguette magique, il présenterait un aspect plus impressionnant encore que le chaos rocheux et glaciaire le plus ardu.

Cette instabilité des éléments invisibles est régie par les lois physiques, fantasques peut-être, mais immuables dans cette mobilité.

Par ailleurs, l’aviateur reprend parfois un contact… souvent rude avec le sol. La recherche du terrain de base et de secours est d’une importance vitale.

L’étude de l’atmosphère et des terrains permet d’établir des principes de base dont on peut déduire des méthodes, des améliorations de matériel, qui permettent sinon de supprimer le risque, au moins de surmonter les résistances.

Or, le désir de survoler des régions montagneuses n’est pas seulement d’allure romantique et fantastique, de nature à attirer les seuls amateurs de risques, d’inconnu, de beautés grandioses… il est aussi essentiellement pratique et militaire.

L’étude de l’aviation en montagne, si elle éclaire d’un jour spécial le grand tourisme, l’alpinisme aérien, laisse aussi envisager le développement des transports, des ravitaillements pressés, des échanges postaux de vallée en vallée, de compartiments en compartiments, les dépistages rapides en cas d’accident, le développement de certaines recherches scientifiques et géodésiques. Enfin, elle est d’une utilité essentielle et primordiale au point de vue des opérations militaires en montagne.

Plus qu’en terrain normal encore, les troupes à terre se tournent vers l’arme qui dompte l’altitude avec un maximum de rapidité. Elle lui demande de les éclairer, de les flanc-garder, de transporter ses ordres dans des conditions de temps que la lenteur des déplacements au sol, à pied et à des itinéraires difficiles, ne permettrait pas d’égaler.

Tout cela, mon Général, vous l’avez admirablement compris et vous avez su le rendre accessible à tous, grâce à un style clair, alerte et précis. Connaissant en sportif la montagne et les secrets qu’elle ne livre que lentement au cours des longues ascensions faites la canne à la main, vous avez pu percer le mystère de son enveloppe diaphane.

Votre livre ouvrira à beaucoup qui ne savent pas, ou qui doutent encore, des horizons insoupçonnés comme ceux que vous et votre beau régiment d’aviation avez découverts.

Il laissera en outre comprendre, à tous ceux qui connaissent peu vos ardents et brillants officiers et vous-même, tout ce que votre expérience représente d’audaces réalisatrices, de recherches généreuses qui honorent l’aviation française, de liaison empreinte de haute estime avec vos camarades les alpins de la terre.

Ce livre ouvre définitivement l’ère de l’alpinisme aérien et de son utilisation pratique, tant au point de vue tourisme, qu’au point de vue militaire.

Général Dosse. »

1936 / Edmond Louis DOSSE est élevé au rang et à l’appellation de général d’armée (référence/Photo colorisée).

INTRODUCTION

Pour sa part, le général Benoist (dont il n’existe aucune photographie en source ouverte) se réserve le droit de rédiger la préface de son ouvrage, en insistant sur la nécessité de la publier :

« J’ai beaucoup hésité avant d’écrire cette étude d’aviation alpine ? Je me suis enfin décidé à faire le tour de mes « acquisitions », à les totaliser et à les présenter.

Ce fait n’est pas d’un intérêt capital, et ce n’est pas ma décision qui importe, mais l’opinion du lecteur.

Je ne crois pas, toutefois, inutile de laisser parler devant lui les deux avocats « Pour » et « Contre », dont les arguments avaient longtemps maintenu l’équilibre des deux plateaux de la balance.

« Contre » invoque surtout la grandeur, la diversité, l’insuffisance d’exploration du champ scientifique aéronautique des Alpes, où se heurtent et se mêlent tant de notions de géographie, de météorologie et de mécanique aérodynamique.

Il argue de la pénurie de documentation expérimentale, de l’incertitude, de la faiblesse de certaines théories d’aviateurs, où domine l’idée fixe ou le sentiment et surtout, de la jeunesse des études aéronautiques sur les Alpes, qui ne dépasse guère une dizaine d’années.

« Pour » déclare que toute science, si elle n’a pas de fin, doit avoir un commencement, qu’il est utile et, en tout cas souhaitable que les connaissances actuelles soient condensées et fassent boule de neige.

En somme, des équipages aériens ont volé de 1914 à nos jours sur les Vosges, les Balkans, le Liban et l’Atlas, montagnes dont le survol n’est pas, à priori, différent de celui des Alpes.

D’autre part, les aviateurs militaires et civils du sud-est, et surtout ceux de Lyon, ont acquis une certaine expérience du ciel des Alpes depuis treize ans qu’ils le fréquentent. Leur consultation peut être fructueuse.

Des géographes et des météorologistes éminents ont publié, sur les Alpes, monographies et traités, dont la liste s’allonge et dont la lecture est instructive.

Ne semble-t-il pas, alors, que, si le sursaut d’une décision énergique met en fuite indolence et respect humain, souvent inhérents à la mise en chantier d’une œuvre nouvelle, il soit aujourd’hui possible de recueillir et d’engerber des notions modestes, peut-être, mais utiles et déjà stables, à l’usage des fervents des Alpes, aviateurs, amateurs d’aviation et alpinistes.

L’avocat « Pour », qui parla le dernier me donna raison. Je souhaite qu’il n’ait pas tort.

Quoi qu’il en soit, il s’agit de présenter au lecteur les Alpes aéronautiques de 1934.

Le plan le meilleur n’est-il pas le plus simple ? Étudier d’abord le milieu, ensuite l’adaptation. Le milieu, si caractérisé, des montagnes alpines, c’est le terrain, d’où part et atterrit l’aviateur, c’est le ciel, avec ses vents, ses nuages, influencés ou créés par le relief, sa température, ses précipitations.

L’adaptation au milieu alpin s’adresse à l’aviation militaire et à l’aviation civile.

Si les conditions physiques, terre et ciel sont les mêmes, l’emploi est en général différent. L’aviation militaire doit tenir compte des missions de combat, effectuées par les équipages de bombardement ou de chasse, des missions de renseignements et des organisations tactiques terrestres ; l’aviation civile, de l’agrément et du confort des passager ou des vœux des propriétaires d’avions de tourisme.

Toutes deux doivent souhaiter d’abord la sécurité dans l’adaptation technique des avions.

Vient ensuite l’adaptation du personnel, aussi bien militaire que civil.

La table des matières a été mise en tête de ce livre ; la bibliographie, à la fin de l’ouvrage.

À ce dernier sujet, je dois rendre un spécial hommage à M. Bénévent, professeur à la Faculté d’Aix, dont le beau livre Le climat des Alpes fut mon plus ferme soutien dans l’étude de la région illimitée et fantasque du ciel.

Le livre hautement scientifique de M. Baldit, inspecteur des postes météorologiques du sud-est : Le relief météorologique – vents et nuages, fut mon mentor dans ces questions difficiles et controversées. C’est de tout cœur que je les prie de croire à ma vive et affectueuse reconnaissance.

C’est avec une chaude conviction que je remercie mon ami et collaborateur le capitaine Seive. Il a pris des photographies aériennes qui vivifient ce livre et lui donnent un intérêt artistique et documentaire.

Ces belles visions où contrastent rayons et ombres en des paysages grandioses ou enchanteurs, toujours pittoresques, me rappellent les beaux yeux, qui illuminent et transfigurent certains visages moroses ou sévères.

  • Le général Dosse, gouverneur militaire de Lyon, a bien voulu préfacer ce livre.

Qu’il me soit permis d’exprimer ma profonde et respectueuse gratitude au Chef bienveillant et au grand Alpin.

  • Benoist »

LA TABLE DES MATIÈRES

Placée en tête de l’ouvrage, cette « table des matières » est en fait ce qu’on appelle, de nos jours, un « sommaire » ouvrant sur les éléments suivants :

Préface

Introduction

Première partie – Le milieu

I. – Le terrain

A. – Les Alpes françaises. Aperçu géographique

B. – Les Alpes vues par l’aviateur. Les terrains d’atterrissage des Alpes

C. – Quelques fiches de terrains aménagés (FayetSaint-Gervais, Challes-les-Eaux)

II. – Le ciel

A. – Les vents. Grands courants aériens

B. – Le relief alpin et le vent. Phénomènes généraux. Vents alpins

C. – Le relief et le vent. Phénomènes locaux. Exemples alpins

D. – Les brises locales. Brises de vallée et de montagne

E. – La nébulosité. Le relief et les nuages. Brouillards et brumes

F. – La température

G. – Les précipitations. Pluie et neige

H. – L’utilisation de la météorologie dans les Alpes

Deuxième partie – L’adaptation au milieu

I. – Aviation militaire

A. – Conditions d’emploi

Missions de l’aviation de combat (chasse et bombardement).

Missions de l’aviation de renseignement (reconnaissance, tir, liaison).

  • – Répartition des moyens d’aviation suivant les conditions tactiques terrestres
  • – Adaptation technique
  • Les avions militaires

Avions sur la montagne.

(Combat et reconnaissance)

Avions dans la montagne;

(Liaison, avion léger divisionnaire de montagne)

Avion amphibie.

Avion à skis.

Avion sanitaire.

b) Les véhicules. Camions à 6 roues. Automobiles à chenilles, etc.

c ) Les transmissions, télégraphie sans fil, téléphone, panneaux, pigeons, optique

II. – Aviation civile

A. – Transport et tourisme alpin

B. – Organisations à réaliser. Circuits et trajets alpestres. Trajet d’Ambérieu à Nice

C. – Adaptation technique. Les avions de transport. Les avions de tourisme alpin

III. – Adaptation du personnel

A. – Instruction commune à tous les aviateurs dans les Alpes

a) Instruction professionnelle du personnel navigant. Pilotage

b) Instruction professionnelle du personnel spécialiste non navigant. Mécaniciens, radiotélégraphistes, etc.

B. – Instruction en liaison avec les autres armes dans les garnisons, les camps et en manoeuvre

À terre

En vol

C. – École de montagne

Conclusion

Bibliographie »

L’AVION SUR SKIS

Page 113 de l’ouvrage, le général Benoist donne des détails sur l’emploi des skis en montagne. Pour bien illustrer cette avancée technique, reprenons un article de Daniel Gerbe, paru dans le Tableau de bord n° 19 de décembre 2008, relatant les expérimentations effectuées en montagne par le 35e Régiment d’aviation (RA) de Lyon-Bron, avant d’en tirer des conclusions originales…

« Du fait de son implantation géographique, proche des Alpes, une partie de l’activité du 35e R.A a été orientée, tout naturellement vers la montagne. Missions d’observation, lors des manœuvres des unités alpines, couverture photographique aérienne du massif alpin, étude des conditions de vol en montagne, conduisant à Challes-les-Eaux, à la création de la célèbre « École des remous », sous la direction du Capitaine Joseph Thoret, tels furent les domaines expérimentés par les équipages du 35e R.A.

Son ancien chef, devenu le général Benoist, a d’ailleurs publié en 1934, L’Aviation de Montagne, qui est en quelque sorte, une synthèse des expériences réalisées par cette unité. L’une d’elles, dans le 35e R.A a joué un rôle précurseur indéniable, concerne « l’avion à skis ». Cette expérimentation qui ne fut pas exempte de difficultés, d’incidents et même d’accidents graves, voici comment le général Benoist l’a relatée dans son ouvrage : « Quelques essais ont été faits près de Chamonix, au terrain des Praz, et à celui du Fayet/Saint-Gervais. A priori, l’emploi des skis, expérimentés avec succès dans les pays nordiques, ne s’impose pas dans les Alpes françaises. Il faut de plus, remarquer que les skis alourdissent l’avion, en le rendant moins maniable. Cependant en hiver, et sur terrains d’altitude de dimensions suffisantes, l’avion à skis pourrait seul atterrir sur la neige. Une solution mixte paraît devoir donner satisfaction. C’est le train d’atterrissage à roues, et à skis. Il a été essayé en février 1932, sur Hanriot 431 à moteur Lorraine de 240 CV. L’avion partit de Lyon-Bron et s’est posé au Fayet, non enneigé, puis aux Praz, recouvert de 30 cm de neige. Il a glissé 80 m en moyenne, à l’atterrissage. Il a décollé en 60 m. Une seconde expérience, au terrain des Praz, recouvert d’une couche de neige compacte de 80 cm, a eu pour conclusion la rupture des skis à un point d’attache, à la suite de la résistance. Il a décollé en 60m. Une seconde expérience, au terrain des Praz, recouvert d’une couche de neige compacte de 80cm, a eu pour conclusion la rupture des skis à un point d’attache, à la suite de la résistance violente de la neige accumulée contre leurs cornes ».

Février 1932 / Muni de skis en bois, le Lorraine-Hanriot 431 est livré en trois exemplaires à l’ESA (en recherche de crédit photo).

C’est le Hanriot 431 N°14, F-ALDC, qui fut utilisé pour cette expérimentation. Chez Hanriot, c’est l’ingénieur Jean Biche, qui étudia cet équipement. Le pilote Haegelen, en effectua les premiers essais, puis il semble que ce soit le lieutenant Nique, du 35e R.A, qui convoya l’avion au Fayet, non sans problème… Nous le retrouverons quelques années plus tard, pilotant les MS 500, alias Fieseler Storch, de l’Aviation des Alpes, en 1944-45.

Le célèbre pilote d’essais Jacques Lecarme, d’ailleurs ancien Sous-lieutenant pilote du 35e R.A, puis pilote d’essais au C.E.M.A à l’époque, nous donne un témoignage fort différent dans sa forme et sur le fond, dans le chapitre d’anthologie intitulé « L’école des nœuds », de « L’Histoire des essais en vol », de Louis Bonte. Plus tard, rédacteur technique de la défunte revue Aviation-Magazine’, il revient sur ce sujet, avec une plume souvent trempée dans le vitriol.

Laissons lui exprimer sa vision de ces essais :

« Par une aberration curieuse, il (le colonel Benoist) réclame, pour virer dans les vallées, un avion à faible puissance : le choix fut malheureux. Il se porta sur un affreux biplan Hanriot, le moteur Salmson 230 CV était, pour l’époque endurant, mais la cellule médiocre. De plus, le 35e R.A simplifia le problème, et fit monter deux skis sur l’axe des roues, de part et d’autre de chaque roue. Peu sûr de l’accueil du C.E.M.A, on court-circuita ce dernier. Sans essais, au premier convoyage, les skis se braquèrent en aéro-freins, et l’avion s’engagea en piqué incontrôlable. On découvrit alors la nécessité des sandows et câbles raidisseurs.

L’hiver suivant (1933-34), on monta ce système de skis jumelés, sur un Potez 25, et sur un Morane 230, mieux choisis en qualités de vol. Au premier atterrissage sur neige vierge, aux Praz de Chamonix, les roues non relevables, bourrent, et dès l’impact, les deux avions passent sur le dos.

4 mars 1932 / Capotage du Potez 25 du capitaine Ruby (35e R.A) aux Praz de Chamonix (référence/Photo colorisée).

Ce fut à la suite de ces erreurs, qu’il fut demandé à la Société Messier, la réalisation d’une roue à 2 positions, côte à côte avec le ski. En 1936, cet ensemble est monté sur un MS 230, court en voilure pour l’altitude, et sur le prototype MS 330, mieux voilé-le F-AKGU. Le MS 230 ne peut redécoller de la neige lourde et doit être démonté, le MS 330 va fort bien, et nous y faisons notre apprentissage. La conclusion est rapide à tirer, il est stupide d’utiliser un terrain plat, il faut utiliser les pentes. Mais les promoteurs de l’utilisation des pentes, sont vertement rappelés à l’ordre, par les autorités du 35e R.A, pour l’incongruité de leurs conclusions. Tout cela tomba dans l’oubli, avec la guerre… »

1936 / Le MS 330 F-AKGU équipé du système caréné roues-skis de Messier (référence/Photo sublimée et colorisée).

Comme on le voit, c’est par tâtonnements, en expérimentant successivement deux skis de part et d’autre de la roue, puis un seul, fixe et monté sur l’axe, puis enfin le combiné ski-roue Messier caréné, où le ski mobile descend sous la roue, et comporte une échancrure centrale, permettant le passage de celle-ci, que l’on arriva à un résultat acceptable et pratique.

Après la guerre, en Suisse, Herman Geiger, « le pilote des glaciers », sera le pionnier de l’utilisation en montagne, de l’avion à skis, réalisant des prodiges de sauvetage, avec son petit Piper-Cub. En France, Firmin Guiron (qui s’illustra au sein de l’Aviation des Alpes, en 1944-45), utilisant un Auster, équipé de skis en bois de fabrication artisanale ; Henri Giraud de Grenoble, qui ouvrit la première école de pilotage en haute montagne, furent les pionniers de cette nouvelle discipline, accomplissant également, de beaux exploits.

23 juin 1960 / Le pilote isérois Henri Giraud atterrit au sommet du mont Blanc (référence/Photo sublimée et colorisée).

Plus tard, des altiports et des altisurfaces proches des stations de ski, sont créés. Il existe actuellement une douzaine d’altiports, et on recense plus d’une centaine d’altisurfaces !

Souvenons-nous cependant que ce sont les aviateurs du 35e RA qui, par leurs essais, ouvrirent la voie du vol en montagne, tel qu’il se pratique aujourd’hui ! »

Daniel Gerbe

Aujourd’hui, en Europe, les avions sur skis sont réservés au tourisme et aux loisirs (référence).

ÉPILOGUE

Complètement tombé dans l’oubli, l’ouvrage du général Georges Benoist avait pour objectif de faire le point des Alpes aéronautiques de 1934. En ce sens, il constitue un témoignage, unique dans le monde, de l’état de l’art de l’Aviation de montagne dans l’Entre-deux-guerres, une époque à laquelle les pilotes s’aventurant dans les contrées reculées et accidentées représentent encore une élite très restreinte.

Pour les raisons évoquées en éléments de contexte (c’est-à-dire la création de l’armée de l’Air en 1934), ce livre ne sera jamais amendé pour tenir compte des avancées de l’aéronautique de montagne. En effet, le samedi 4 décembre 1943, vers 13h 45, l’hélicoptère léger polyvalent allemand du type Focke-Achgelis Fa-223 ‘Drache’ n° 12, codé DM+SP, s’écrase à proximité du sanatorium Martel de Janville, sur la commune de Passy (74/Haute-Savoie).

Le Focke-Archgelis Fa 223 commence sa carrière en Bavière (référence/Photo sublimée et colorisée).
Les autorités locales et les secouristes arrivent sur les lieux du drame. Il n’y a pas de survivants (en recherche de crédit photo/Photo sublimée et colorisée).

Cependant, l’Aviation de montagne ne connaîtra une véritable révolution qu’au milieu des années 1950 avec la généralisation de la voilure tournante, aussi bien dans le domaine militaire que pour les usages civils. Une évolution que le général Benoist, un pilote d’avion pur et dur, n’a pas, ou pas su, anticiper. C’était déjà beau de voler en montagne, alors, se poser à haute altitude ou sur glaciers, sur skis, cela relevait encore de l’utopie…

Éléments recueillis par Bernard Amrhein

SOURCES

  • Général Benoist, L’aviation de montagne, étude alpine, B. Arthaud, Grenoble 1934, préface du général Dosse, photographies aériennes du capitaine Seive
  • Daniel Gerbe, article sur les avions sur skis paru dans le Tableau de bord n° 19 de décembre 2008


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